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LA CHANCE
DE LA MIGRATION,
NO BORDERS !
Treize Nouvelles
Troisième Nouvelle
ENFERMER DEHORS
Youssef al-Masri est fatigué. Depuis son départ en 2011 de sa ville de Misrata en Libye, qui l’a vu naître en 1994, il n’a connu que le plus noir de l’âme humaine. La cupidité, le mensonge, la trahison, “une bonne centaine de péchés capitaux”, ainsi qu’il le pense si souvent depuis.
— Tes papiers, lui ordonne sèchement le militaire qui patrouille dans la campagne hongroise.
László Horváth n’entend pas se laisser amadouer par ce nouveau migrant qui a su passer la Biztonsági Vonal, malgré les barbelés. “La Biztonsági Vonal[1], tu parles ! Encore un pouilleux qui vient violer nos femmes”, pense-t-il.
— Désolé, monsieur, mais on m’a pris mes papiers quand j’étais retenu en Grèce. Je suis étudiant en littérature médiévale, et...
S’exprimant très bien en anglais, il désarçonne pour un court instant les certitudes apprises par László tout au long de ses années au Fidesz, le parti de Viktor Orbán.
— Évidemment, c’est toujours la faute des autres avec vous, les bevándorló[2].
Youssef préfère se taire plutôt que d’argumenter et d’essayer de faire entendre raison à ce “bon chrétien”.
Il est pris par le col et trimballé comme ça jusqu’au poste frontière, à huit cents mètres de là.
Le Hongrois, tel le chasseur blanc dans la savane, fier en bombant le torse, s’approche de son collègue, qui n’avait rien remarqué.
— Tu vois Balázs, tu ne l’avais pas vu celui-là, alors que je t’avais bien dit que j’avais vu quelque chose.
Le jeune collègue dont c’est la première semaine comme kerítés őre[3], baisse les yeux, respectueusement.
— Pardon, chef, je suis désolé, je ferai attention à l’avenir.
— Il y a intérêt !
Et, comme si c’était un sac d’ordures, il jette littéralement le jeune homme de l’autre côté de “sa” barrière.
— Et toi, j'ai pas envie d'être emmerdé aujourd'hui, alors file! Va ailleurs, mais que je ne te revoie plus, sinon je t’assure que ça ne va pas se passer comme ça.
Comme pour appuyer ce qu’il vient de dire pour le menacer, il met la main sur la crosse de son fusil.
Youssef, le cœur lourd, fait demi-tour. Que peut-il, seul, avec pour seul bagage de littérateur, son sac et les livres qui lui restent.
“Il me faut une solution”, se dit-il.
Alors qu’il marche à l’opposé de la barrière tenue par ses molosses, droits dans leurs convictions nationales ; il peut entendre les rires gras et sonores qui lui font saigner les oreilles, de tristesse.
“Il faut que j’appelle Rania, elle seule pourrait m’aider, je crois”, se convainc-t-il.
Rania al-Khattab, exilée lybienne, journaliste anarchiste, qui a réussi à s’installer en Occident bien avant le mouvement qu’on a appelé “printemps arabe”. Elle travaille depuis les années 80 au Black Flag jusqu’en 1993. Pour y revenir en 2021, dans sa version numérique, comme d’autres “fellow comrade”.
Devant son écran, elle est en train d’écrire un article sur ce rendez-vous annuel imbécile de “Black Friday”, et surtout la manifestation prévue devant le magasin Zara ce vendredi 28 novembre.
Son téléphone portable vibre juste à côté d’elle.
— Zut ! Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Elle le prend et voit le nom affiché, “Habibi Youssef”.
Son sourire renaît sur son visage alors qu’elle appuie sur le bouton “answer”.
— Youssef ! Tu es où mon grand... comment va ta mère ? Et toi ? Tu sais, l’autre jour je...
Youssef, sur son téléphone, très respectueusement, la coupe dans sa lancée, qu’il connaît si bien.
— ...Pardon Rania, mais...”
Après avoir tout expliqué à cette grande amie de sa famille, “la grande Rania”, le silence s’est abattu.
Au bout d’un assez long moment, ayant compris la situation, elle lui donne quelques marches à suivre.
Plus tard, alors que la nuit est profonde, que la lune éclaire à peine la campagne silencieuse et gelée ; les deux Határvédők[4] sont en train de passer le temps en jouant au Zsírozás[5] en écoutant de la musique traditionnelle.
Soudainement, le jeune Balázs s’arrête en plein mouvement ; surprenant son adversaire qui le regarde inquiet.
— László, j’ai entendu un bruit.
— T’excite pas, les bevándorló doivent être gelés dans la forêt d’en face.
Mais le chien, “Viktor bácsi”[6], un jeune Rottweiler aux aguets commence à grogner en levant la tête.
Le chef, László, cette fois est convaincu qu’il se passe quelque chose. Il jette ses cartes sur la table. Prend son fusil et la lampe torche.
Prenant la laisse du chien qu’il attache à son gros collier, il se tourne, décidé, vers son jeune collègue.
— Reste-là, je vais aller y voir avec “a bácsi”.
Il part dans le noir, alors que Balázs se sert un café tiède dans son quart tout cabossé.
Une demi-heure plus tard, alors que rien ne se faisait entendre au poste frontière, un coup de feu.
— László ! crie Balázs.
Le jeune se lève d’un coup. Il ouvre la porte d’un air effaré.
— László ! László !
Aucune réponse pour le rassurer.
C’est à ce moment-là qu’il voit le Rottweiler revenir en courant.
Il fait toujours aussi noir dans la forêt Magyar. Balázs, avec sa lampe torche, essaye de distinguer où est son chef.
— László ? Où êtes-vous, chef ?
Il baisse la tête pour regarder le chien qui l’accompagne.
— Et toi, tu sais où il est ?
Le garde-frontière se redresse.
— Putain, je parle à un clebs maintenant, quel con. Mais il est où l’autre ?
Ça fait plus de vingt minutes déjà qu’il est à la recherche de son chef, et toujours rien.
Quand soudainement, il entend des borborygmes devant lui.
Il plante sa torche dans la direction, alors que le chien se rue au-devant.
— Putain ! Lâche-moi Viktor ! hurle László.
Dans le poste frontière, László se bande le crâne.
— Pas un mot au Colonel, je ne suis pas tombé et je n’ai pas tiré... compris ?
— Ok chef.
Youssef, qui a été réveillé par un bruit lointain, lève la tête.
“Ah, ils tirent maintenant ? Je crois que je vais suivre le conseil de Rania, je laisse tomber ces demeurés, je vais passer par le Monténégro, là je contacterai Lejla Hasanović, la copine de Rania... la membre de l’International Forum of Solidarity, j’en ai marre d’être enfermé dehors à cause de ces tarés.”
[1] Ligne de Sécurité, en hongrois.
[2] “Immigré”, littéral, utilisé de manière péjorative dans les discours politiques pour désigner les “étrangers” qui viennent s’installer.
[3] Gardien de la clôture, comme les appelle les médias pro-Orbán.
[4] “Gardes-frontières”.
[5] Sorte de Whist hongrois simplifié.
[6] Nom que László a donné au chien et qui signifie “Oncle Viktor”.
(jeudi 4 décembre 2025, quatrième Nouvelle “Fermer par peur”)