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LA CHANCE
DE LA MIGRATION,
NO BORDERS !
Treize Nouvelles
Sixième nouvelle
DRAPEAU POUR ASSERVIR
Le jeune Antoine était tombé amoureux fou de ce prof de littérature africaine quand il l’avait écouté à la Mutu, ce jour où quelques groupes anarcho-queer et autres radicaux, voulaient en découdre avec les enfoirés des forces de l’ordre... qui les attendaient dehors.
— Je suis humilié, tu m’entends Gilles ! Je suis d’une colère folle.
Gilles, grand dadais aussi noir que son cœur est rouge et généreux, est là, assis dans son fauteuil, alors que son compagnon de vie trépigne.
Il pose l’exemplaire de “La bombe”[1], sur le bras du fauteuil et reprend sa pipe qui attendait dans le cendrier posé sur la table basse.
— Qu’est-ce qu’il y a encore, mon p’tit chéri ?
— Il y a que je viens de lire ce truc sur wikipedia... quelle république de merde, et ça n’a pas changé... X[2] avait raison, on ne peut rien attendre des blancs !
Souriant calmement, Gilles Sauveur le regarde avec toute sa tendresse.
— Mais tu es blanc, mon chou.
Dans un état de nerf apoplexique, Antoine tourne en rond avec son téléphone en main qu’il ne cesse de regarder... comme un face à face guerrier.
— C’est justement ça... j’ai grave honte bordel ! Tiens au sujet de l’abolition de l’esclavage. Je te lis le truc : "Bla-bla, bla-bla... l’éducation et la conversion religieuse apparaissent comme des préludes à une abolition sans cesse repoussée.” Bordel, en plus : “sans cesse repoussée” !
Gilles tire sur sa pipe, l’air dégagé, essayant de trouver les mots qu’il faut.
— J’essaye de comprendre, mais tu ne crois pas que ça devrait être moi à être dans l’état où tu es ?
Antoine s’est arrêté d’un coup de tourner en rond.
— Oui... et tu ne l’es pas ?
— Je l’ai été, dans ma jeunesse, et violemment, crois-moi, mais maintenant je prends d’autres chemins ou moyens de faire, pour exprimer la rage que j’ai en moi... tiens, passe-moi ton smart.
Il met ses lunettes et lit silencieusement le texte du site de partage de culture, avant de relever la tête.
— Tiens ! Tu vois ; plus que cette débile idée de nous faire rentrer le christianisme par force, c’est cette phrase de cette raclure de Victor de Broglie... “La loi actuelle est une loi de préparation à l’émancipation, loi qui arrivera un jour à améliorer la condition des Noirs, à les rendre dignes de la liberté...”, ça, ça me met dans une rage dingue.
Gilles s’approche de son grand chéri.
— Tu es vraiment si calme quand tu es en colère.
— Tu veux que je te raconte comment ça s’est passé, l’annonce officielle de notre “émancipation” en 1848 ?
— Oh oui, mon amour, raconte-moi, j’aime tellement t’écouter.
Antoine s’assied sur ses jambes pliées presque sous le fauteuil. Il pose ses bras sur les jambes de Gilles.
— C’était quelques temps après le 27 avril 1848...
— C’est une histoire vraie ?
Le vieil intellectuel révolutionnaire lui caresse la joue.
— En quelque sorte, le grand-père de mon grand-père l’a raconté à son fils. Mais laisse-moi continuer s’il te plaît... ne m’interromps pas.
Antoine cligne des yeux, pour toute réponse.
— Bien... donc à Tazalmet[3], le maire du village de mon ancêtre, qu’on appelait respectueusement “Monsieur Gradose”.
Antoine éclate de rire.
— Allons, allons, mon chou, ce n’est pas de sa faute, mais il est vrai, paraît-il, qu’on l’affublait de surnoms assez... pittoresque. Il est donc arrivé, avec...
— Pardon mon amour, mais Tazalmet, c’est où ?
Gilles lui sourit.
— Bien sûr, pardonne-moi, j’avais oublié. Oui... Tazalmet était un village aux environs de Ouargla, dans le sud du département algérien d’Alger, et il y avait, à cause de la mine de pierres semi-précieuses et de l’avarice du bourgeois qui en était le propriétaire principal... des esclaves.
À cet instant, les yeux d’Antoine s’ouvrent tout grands.
— Oui, mon bichon ! Esclaves... dont mon aïeul, Victor Sauveur. Il avait reçu la grâce d’un nom de famille... “Sauveur”... tu devines pourquoi cet “honneur” ?
Antoine répond uniquement par un mouvement de la tête de bas en haut.
— Donc, mon ancêtre était debout, devant l’homme blanc, avec son drapeau tricolore, il l’a trouvé souriant... trop souriant, car il a entendu ses fameux “droits” d’homme libre... droit au mariage, droit à la propriété... bien entendu sans armes, droit à l'héritage et droit de racheter sa liberté ou celle de sa famille.
— Que des droits bourgeois, quoi...
Gilles se refait une pipe en silence. Un silence qui acquiesce avant de reprendre la parole.
— Heureusement, il était cultivé, mon ancêtre, il avait appris à lire en cachette de son blanc et quand on lui a dit suavement à la mairie, le jour de la première fois où il croyait pouvoir voter, que... ce n’était pas réglementaire pour un noir de participer.
Antoine se lève.
— Mais il a fait quoi alors ?
— Il est parti ailleurs et a appris à ses enfants la révolte et aussi de ne pas tenir compte des frontières de l’homme blanc, comme celles du militaire, du bourgeois. Quelle que soit ces frontières, le pays, l'âge, le genre, les croyances ou la couleur de celles-ci.
[1] Journal anarchiste radical qui paraît quand il veut. Disponible sur demande.
[2] Il s’agit évidemment ici de Malcolm X.
[3] Village inventé pour la cause.
(jeudi 11 décembre 2025, septième Nouvelle “La bêtise pour frontière”)