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Biographie


Imaginaire n°737
mercredi 11 décembre 2024

Aux grands hommes la répartie reconnaissante.

ÉCRIRE POUR SURVIVRE

Février 1783,
Fort de Vincennes,
Cellule n°6.

François de Sade, se morfond dans cette lugubre forteresse. Il passe une partie de son temps à écrire, sur sa petite table. Le temps, ce jour de février est triste et gris, cela renforce ses sentiments inamicaux envers sa belle-mère qui ne supportant plus les “égarements” de son gendre, lui a fait procès.
Plume en main, il jette un œil sur le ciel qu’il aperçoit au-delà de ses barreaux. Il écrit à son épouse.

“Depuis que je ne puis plus lire ni écrire[1], voilà le cent onzième supplice que j’invente pour elle[2]. Ce matin, je la voyais écorchée vive, traînée sur des chardons et jetée ensuite dans une cuve de vinaigre. Et je lui disais :
— Exécrable créature, voilà, pour avoir vendu ton gendre à des bourreaux ! Voilà, pour avoir ruiné et déshonoré ton gendre ! Voilà, pour lui avoir fait perdre les plus belles années de sa vie, quand il ne tenait qu’à toi de le sauver après son jugement !”

Juin 1783, Sade perd un peu l’esprit. Ce dernier vagabonde dans une litanie acrimonieuse. Mais il fait enfin bon, il se lève, fait le tour de sa cellule n°6. Un sourire ironique naît sur son visage. Il s’assied à sa table pour écrire une nouvelle lettre à sa moitié.

“Si j’avais eu Monsieur le 6 à guérir, je m’y serais pris bien différemment, car au lieu de l’enfermer avec des anthropophages, je l’aurais clôturé avec des filles ; je lui en aurais fourni en si bon nombre que le diable m’emporte si, depuis sept ans qu’il est là, l’huile de la lampe n’était pas consumée ! Quand on a un cheval trop fougueux, on le galope dans les terres labourées ; on ne l’enferme pas à l’écurie. […] Monsieur le 6, au milieu d’un sérail, serait devenu l’ami des femmes ; uniquement occupé de servir les dames et de satisfaire leurs délicats désirs, Monsieur le 6 aurait sacrifié tous les siens. Et voilà comme, dans le sein du vice, je l’aurais ramené à la vertu !”

Ce même mois de juin 1783, le 25, Sade, toujours sur un ton ironique, se moque des avanies que l’administration pénitentiaire lui fait subir. En cette fin de journée, alors que le soleil décline à l’horizon, son regard se porte sur un moineau innocent qui s’est posé sur le rebord de sa fenêtre à barreaux. Il le regarde silencieusement, le bout de sa plume entre les lèvres d’où un sourire inspirant le replonge à sa lettre, toujours à sa femme.

“Me refuser “les Confessions” de Jean-Jacques est encore une excellente chose, surtout après m’avoir envoyé Lucrèce[3] et les dialogues de Voltaire ; ça prouve un grand discernement, une judiciaire profonde dans vos directeurs. Hélas ! ils me font bien de l’honneur, de croire qu’un auteur déiste puisse être un mauvais livre pour moi ; je voudrais bien en être encore là. Vous n’êtes pas sublimes dans vos moyens de cure, Messieurs les directeurs ! […] Ayez le bon sens de comprendre que Rousseau peut être un auteur dangereux pour de lourds bigots de votre espèce, et qu’il devient un excellent livre pour moi. Jean-Jacques est à mon égard ce qu’est pour vous une “Imitation de Jésus-Christ”[4]. La morale et la religion de Rousseau sont des choses sévères pour moi, et je les lis quand je veux m’édifier […] Vous avez imaginé faire merveille, je le parierais, en me réduisant à une abstinence atroce sur le péché de la chair. Eh bien, vous vous êtes trompés : vous avez échauffé ma tête, vous m’avez fait former des fantômes qu’il faudra que je réalise.”

François de Sade, en ce matin du mois de septembre 1783, retrouve une vigueur faconde pour toujours opposer sa propre philosophie qui reste inexorablement incomprise. Sa cellule, il en a fait son bureau, malgré la tristesse toute martiale. Les doux rayons encore chaleureux du soleil viennent illuminer son visage.

“Si, comme vous le dites, on met ma liberté au prix du sacrifice de mes principes ou de mes goûts, nous pouvons nous dire un éternel adieu, car je sacrifierais, plutôt qu’eux, mille vies et mille libertés, si je les avais.”

Quelques mois plus tard, en novembre 1783, toujours dans la même cellule de Fort de Vincennes, il est plus déterminé que jamais. Les récriminations de sa femme ne lui donnent que plus d’ardeur à continuer de défendre son point de vue.
Ce début de novembre est froid, emmitouflé dans une couverture, un rayon de soleil vient apaiser sa rancœur et lui inspire une fois encore, la force d’être.

“Ma façon de penser, dites-vous, ne peut être approuvée. Eh, que m’importe ! Bien fou est celui qui adopte une façon de penser pour les autres ! Ma façon de penser est le fruit de mes réflexions ; elle tient à mon existence, à mon organisation. Je ne suis pas le maître de la changer ; je le serais, que je ne le ferais pas. Cette façon de penser que vous blâmez fait l’unique consolation de ma vie ; elle allège toutes mes peines en prison et j’y tiens plus qu’à la vie. Ce n’est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c’est celle des autres.”

Sade sera transféré d’abord à la Bastille, le 29 février 1784. Il y grattera d’une écriture minuscule et serrée, l’un de ses chefs-d’œuvres, les Cent- vingt journées de Sodome. C’est début juillet 1789, qu’on l’envoie à l’Hospice de Charenton, après avoir, selon le gouverneur de la Bastille “crié de toutes ses forces, et a été entendu de tout le voisinage et des passants, qu’on égorgeait, qu’on assassinait les prisonniers de la Bastille, et qu’il fallait venir à leur secours.”


[1] De janvier à juillet 1783, Sade perd presque totalement l’usage d’un œil.
[2] Sa belle-mère, Madame de Montreuil.
[3] Poète et philosophe latin du Ier siècle avant Jésus Christ. Auteur d’un seul ouvrage en six parties, le “De rerum natura” (De la nature des choses), un long poème en style épique qui décrit le monde selon les principes d’Épicure.
[4] De imitatione Christi est une œuvre anonyme de piété chrétienne, écrite en latin à la fin du XIVe siècle ou au début du XVe siècle.